Les mains parlent
Elles parlent à notre insu
La parole ne peut pas s’y cacher dans les mots.
La main dit cette parole de silence,
qui ne brise ni ne le rompt,
mais se coule en lui comme sa lumière.
Quand du moins la main donne.
Elle peut dire aussi l’âpreté, dureté, avidité, impatience
l’emprise ou le retrait.
La main dit l’âme et dit le tout.
Litanie des mains
La main maternelle
La main du père
La main amoureuse et caressante
La main du pianiste, du violoniste,
du peintre, du sculpteur,
du chef d’orchestre.
La main infaillible du tailleur de diamants.
La main du chirurgien, du kiné,
de l’infirmière, de la garde malade.
La main du navigateur, du conducteur de train,
de l’automobiliste à son volant.
La main verte : « avoir la main verte »,
C’est le bon jardinier
La main de l’enfant qui suce son pouce
La main tendue, la main des retrouvailles,
du bon accord, de la réconciliation.
La main de l’imposition des mains et de l’onction
et de la bénédiction.
Et la main sur la main, la main dans la main,
qui dit la simple présence et la pure tendresse.
La main de l’artiste, la main de l’artisan,
il est vrai qu’elle prend, serre, appuie,
mais avec amour et avec art.
Et avec, au moment suprême, cette légèreté,
cette démaîtrise
qui fait qu’on passe de l’objet bien fait à l’œuvre,
à l’unique,
à ce qui se donne dans le saisissement de la beauté.
La main du potier est directement
dans la terre qu’il façonne,
pour qu’au bout des doigts naisse la chose belle
qui réjouira la maison.
L’outil prolonge la main.
La machine-outil, le robot prennent sa place.
C’est très efficace. Avec le risque du grand oubli :
de l’esprit et du corps,
de l’homme entier présent à ces doigts
et cette paume.
Puisque la main parle et dit l’homme.
La main ouverte, en cet amour
qui passe tous les amours
par-delà Eros-le-désir et Philia-l’amitié
Agapé, la divine tendresse
La main ouverte, la main donnée.
Elle n’est pas crispée pour ravir son bien,
elle n’empoigne pas,
elle ne se durcit pas car son désir, Ô main donnée
tendrement sans retour
est seulement désir de cette douce présence
qu’elle ne veut même pas
puisque la présence lui est donnée
et qu’il lui est donné de l’offir.
La main sur la main, de l’un à l’autre,
ce geste si simple, si pauvre, si désarmé
si banal au regard distrait ou fatigué
la main dans la main, paume contre paume,
symbole vif de la vie
qui passe de l’un à l’autre et de l’autre à l’un,
main de tendresse dont la douce pression
s’attarde un peu, si peu, juste pour dire l’affection
inébranlable…
La main est la main et elle est le symbole
de tout ce qui unit les humains.
Ainsi de marcher la main dans la main,
gravir le sentier escarpé sans peur vers en haut,
parce qu’il y a cette confiance,
cette main que je tiens en la mienne et qui me tient,
sans inquiétude ni âpreté,
et que cette marche-là nous conduit
par-delà nous-mêmes à l’étrange douceur.
Prendre la main :
alors même prendre c’est donner, puisque tout est
don en la main qui aime,
y compris le geste qu’elle fait pour saisir l’offrande
qu’on lui fait
Et quelle plus belle offrande que la main elle-même ?
Maurice Bellet